Performance, 15 min, costume fait en collaboration avec Hoang Lê et Yassine Aftis, 2019.
À la fin, ce travail est devenu comme une sorte d’expression ou d’acceptation d’un chagrin plus collectif que personnel. Ce n’est pas l’invention d’un récit, c’est une présence. Cette performance présente l’évolution dans le temps d’un corps prêt à tout, puis qui petit à petit est conservé par son auto-organisation plutôt que sa capacité spectaculaire. Je tente de m’épuiser en chutant, de questionner les limites du corps par la répétition du même geste et de jouer avec l’illusion d’une mise en danger.
L’espace d’exposition est vide et plongé dans le noir. On entend le son amplifié et « live » de ma respiration. La performance peut se regarder à l’œil nu ou à travers l’écran d’un smartphone sur le mode vidéo avec flash. Un jeu de tensions s’opère entre un corps présent et un corps absent dû au costume réfléchissant et par le dispositif de visionnage sur le smartphone. Lorsque la·le spectateur·rice regarde la performance à travers son téléphone, mon corps disparaît dans le noir, mais en même temps c’est le smartphone qui fait apparaître le costume réfléchissant. Le corps est aplati par l’image, tel un tour de magie, il peut y avoir un côté onirique qui ferait penser aux films de Méliès et aux danses de Loïe Fuller. L’utilisation du smartphone avec ce tissu réfléchissant relève de l’ordre du trucage et me permet quelque part d’augmenter le réel. Ce dispositif redéfini donc la façon dont on perçoit le mouvement. Il permet un point de fixation, de concentration pour la·le spectateur·rice qui a le choix d’en sortir.
La chorégraphie de la performance se fait à partir d’une partition ouverte qui me permet d’improviser selon le public qui est libre de se déplacer dans l’espace de l’exposition. La partition consiste à : se tenir debout, chuter, une fois au sol rester immobile, décrocher un élément du costume, se relever. Cet enchainement se répète jusqu’à ce que tous les morceaux du costume soient détachés du harnais et répartis au sol dans l’espace de l’exposition. Le son de ma respiration « live » a pour but d’être immersif afin que la·le spectateur·rice soit avec moi dans cette chute. Mais, en même temps le son témoigne d’un contraste entre ce que je vis dans ces chutes et ce que le spectateur voit. Le mélange de ces médiums (danse, sculpture, vidéo et son) permet également d’interroger la·le spectateur·rice sur sa propre condition et sur la question de l’évènement et de témoin. Certain·e spectateur·rice me traquent avec leurs smartphones. Je tente de les mettre dans une position ambiguë, celle d’être témoin de ces chutes violentes, tout en sachant que c’est grâce à eux que je me meus… que j’avance. Que ce soit à propos du costume, de la scénographie ou de la chorégraphie, il y a pour moi dans cette performance l’idée de transformation, de quelque chose qui est en puissance, qui se construit et se déconstruit en même temps : cet organisme étrange qui se désintègre, au fur et à mesure qu’il avance, par le mouvement, qui perd ses membres, des morceaux du costumes, mais qui se transforme et révèle mon propre corps.
Le titre de la performance fait référence au poème ci-dessous :
« Rien que le très profond désir / de faire halte dans notre fuite » (« chagrin » plutôt que « désir », m’as-tu précisé quand je t’ai interrogée sur ce poème ; « nous tenir dans la fuite », as-tu préféré traduire). »
Georges Didi-Huberman citant un poème de George Séféris, dans « Densité dansée. (Lettre sur le cinéma de poésie) », 2014.
18 juin au 10 juillet à Poush
6 boulevard du Général Leclerc, Clichy
– gratuit, sur inscription